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GUILLAUME GARDET
Avocat médiateur - Docteur en droit

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Condamnation de la France pour le fichier STIC

Le 23 septembre 2014
la conservation s’analyse en une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique.

Le STIC est un fichier utilisé dès les années 1990 et fut officiellement réglementé lors du Décret n° 2001-583 du 5 juillet 2001 pris pour l’application des dispositions du troisième alinéa de l’article 31 de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et portant création du système de traitement des infractions constatées.

Toute personne mise en cause dans une affaire pénale, sans même être jugée est inscrite dans ce fichier et les données perdurent même si l'affaire ne connaît pas de suite judiciaire.

Un requérant avait demandé au Procureur de la République de faire procéder à l’effacement de ses données du fichier STIC, estimant que leur enregistrement était infondé. Cette requête fut rejeter, avec impossibilité de contester le refus devenu définitif.

le requérant se plaignait d’une atteinte susceptible d’être portée à sa vie privée et familiale du fait de son inscription au fichier, dans le cadre d’une éventuelle procédure judiciaire ultérieure.


La Cour Européenne des Droits de l'Homme confirme la réalité de cette atteinte et condamne la France.


En effet, le régime de conservation des fiches dans le STIC, tel qu’il a été appliqué au requérant, ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu. Dès lors, la conservation litigieuse s’analyse en une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique.

Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention.


AFFAIRE BRUNET c. FRANCE

STRASBOURG

18 septembre 2014

En l’affaire Brunet c. France,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 21010/10) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Francois Xavier Brunet (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 mars 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me A. Barlaguet, avocat à Brunoy. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Invoquant les articles 6, 8, 13 et 17 de la Convention, le requérant se plaint des conditions de sa garde à vue, de l’absence de suites concernant sa plainte, des conséquences de son inscription au fichier STIC et de l’absence de recours contre la décision lui refusant l’effacement de ses coordonnées.

4. Le 14 septembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1959 et réside à Yerres.

6. Le 10 octobre 2008, une altercation violente eut lieu entre le requérant et sa compagne. Le lendemain, cette dernière déposa plainte auprès du procureur de la République d’Evry. Le requérant fut placé en garde à vue. Il porta plainte à son tour pour violences contre sa concubine. Il fut libéré et convoqué pour médiation pénale le 24 novembre 2008.

7. Le 12 octobre 2008, le requérant et sa compagne écrivirent au procureur de la République pour exprimer leur désaccord avec la qualification détaillée de l’infraction reprochée au requérant, telle qu’elle figurait dans la convocation pour médiation pénale. Ils contestèrent en particulier les termes « avoir (...) volontairement exercé des violences ...». La médiation alla néanmoins à son terme et la procédure fut classée sans suite. Du fait de sa mise en cause, le requérant fut inscrit dans le système de traitement des infractions constatées (STIC). Par ailleurs, aucune suite ne fut donnée à sa plainte.

8. Par un courrier du 11 avril 2009, le requérant demanda au procureur de la République du tribunal de grande instance d’Evry de faire procéder à l’effacement de ses données du fichier STIC, estimant que leur enregistrement était infondé, sa concubine s’étant rétractée et ayant présenté sa plainte comme un signal d’alarme des relations conflictuelles du couple.

9. Le 11 mai 2009, le procureur de la République informa le requérant de l’enregistrement de sa demande. Par une décision du 1er décembre 2009, il la rejeta, au motif que la procédure avait « fait l’objet d’une décision de classement sans suite fondée sur une autre cause que : absence d’infraction (...) ou infraction insuffisamment caractérisée (...) ». Le requérant fut informé de ce que cette décision n’était pas susceptible de recours.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

10. L’infraction reprochée au requérant en l’espèce est un délit prévu à l’article 222-13 alinéa 6o du code pénal, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises :

(...)

6o Par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ; (...) »

11. Le STIC est un fichier qui, bien qu’utilisé dès les années 1990, fut officiellement créé par le décret no 2001-583 du 5 juillet 2001 pris pour l’application des dispositions du troisième alinéa de l’article 31 de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et portant création du système de traitement des infractions constatées. Des modifications furent apportées par le décret no 2006-1258 du 14 octobre 2006, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 2003-239 du 18 mars 2003. La loi no 2011-267 du 14 mars 2011 et le décret no 2012‑652 du 4 mai 2012 codifièrent ensuite les dispositions relatives à ce fichier aux articles 230-6 et suivants et R. 40-23 et suivants du code de procédure pénale.

12. Le STIC répertorie les informations provenant des comptes rendus d’enquêtes rédigés à partir des procédures établies par les personnels de la police nationale, de la gendarmerie nationale ou des douanes. Il a pour but de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs. Sont inscrites au STIC les personnes à l’encontre desquelles sont réunis, pendant la phase d’enquête, des indices graves ou concordants rendant vraisemblable leur participation à la commission d’un crime, d’un délit ou de certaines contraventions de 5e classe définies dans le décret du 5 juillet 2001. Pour chacune, le fichier mentionne l’identité (nom, nom marital, nom d’emprunt officiel, prénoms, sexe), les surnom et alias, les date et lieu de naissance, la situation familiale, la filiation, la nationalité, l’adresse(s), la(les) profession(s), l’état de la personne, son signalement, et sa photographie, ainsi que les informations non nominatives qui concernent les faits objets de l’enquête, les lieux, dates de l’infraction et modes opératoires, et les informations et images relatives aux objets, y compris celles qui sont indirectement nominatives. Les victimes de ces faits sont également répertoriées.

13. Le ministère de l’Intérieur est responsable du STIC, sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent.

14. Les informations concernant un mis en cause majeur sont en principe conservées pendant vingt ans. Par dérogation, elles peuvent l’être pour une durée de cinq, dix ou quarante ans, selon la gravité de l’infraction ou si l’auteur était mineur au moment des faits. Les informations concernant les victimes sont conservées quinze ans au maximum.

15. Le STIC est accessible à la consultation par les personnels des services de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes, individuellement désignés et spécialement habilités à cet effet, par les autres fonctionnaires investis par la loi d’attributions de police judiciaire, sous la même condition d’habilitation et de désignation, et par les magistrats du parquet et les juges d’instruction pour les recherches relatives aux infractions dont ils sont saisis. Il est également ouvert aux organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire et aux services de police étrangers, sous certaines conditions. Enfin, il peut être consulté par les personnels chargés d’effectuer certaines enquêtes administratives préalables à la fourniture d’une habilitation ou d’un agrément, ou d’instruire des demandes d’acquisition de la nationalité française, de délivrance et de renouvellement des titres relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers, ou encore de nomination et de promotion dans les ordres nationaux.

16. Les victimes peuvent s’opposer à la conservation de leurs données dès lors que l’auteur a été condamné définitivement. S’agissant des personnes mises en causes, l’article 3 du décret no 2001-583 du 5 juillet 2001 pris pour l’application des dispositions du troisième alinéa de l’article 31 de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et portant création du système de traitement des infractions constatées se lisait, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, comme suit :

« (...) Toute personne mise en cause lors d’une enquête préliminaire, de flagrance ou sur commission rogatoire d’une juridiction d’instruction peut exiger que la qualification des faits finalement retenue par l’autorité judiciaire soit substituée à la qualification initialement enregistrée dans le fichier.

Toute personne ayant bénéficié d’une mesure de classement sans suite pour insuffisance de charges, d’une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive peut demander que le fichier soit mis à jour par le responsable du traitement dans les conditions prévues au III de l’article 21 de la loi du 18 mars 2003 susmentionnée compte tenu de ces suites judiciaires.

Ces demandes peuvent être adressées soit directement au procureur de la République territorialement compétent, soit, par l’intermédiaire de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, au responsable du traitement qui les soumet au procureur de la République territorialement compétent.

Les personnes morales ne peuvent présenter leur demande que directement auprès du procureur de la République. »

L’article 21 de la loi du 18 mars 2003, disposait quant à lui :

« (...) III. - Le traitement des informations nominatives est opéré sous le contrôle du procureur de la République compétent qui peut demander qu’elles soient effacées, complétées ou rectifiées, notamment en cas de requalification judiciaire. La rectification pour requalification judiciaire est de droit lorsque la personne concernée la demande. En cas de décision de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, les données personnelles concernant les personnes mises en cause sont effacées sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien pour des raisons liées à la finalité du fichier, auquel cas elle fait l’objet d’une mention. Les décisions de non-lieu et, lorsqu’elles sont motivées par une insuffisance de charges, de classement sans suite font l’objet d’une mention sauf si le procureur de la République ordonne l’effacement des données personnelles. (...) »

17. Depuis la loi du 14 mars 2011, les dispositions relatives à la rectification et l’effacement des données figurant dans le STIC sont codifiées à l’article 230-8 du code de procédure pénale, dont la version en vigueur au 12 mars 2012 se lit comme suit :

« Le traitement des données à caractère personnel est opéré sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent qui demande qu’elles soient effacées, complétées ou rectifiées, notamment en cas de requalification judiciaire. La rectification pour requalification judiciaire est de droit. Le procureur de la République se prononce sur les suites qu’il convient de donner aux demandes d’effacement ou de rectification dans un délai d’un mois. En cas de décision de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, les données personnelles concernant les personnes mises en cause sont effacées, sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien pour des raisons liées à la finalité du fichier, auquel cas elle fait l’objet d’une mention. Lorsque le procureur de la République prescrit le maintien des données personnelles relatives à une personne ayant bénéficié d’une décision d’acquittement ou de relaxe devenue définitive, il en avise la personne concernée. Les décisions de non-lieu et, lorsqu’elles sont motivées par une insuffisance de charges, de classement sans suite font l’objet d’une mention, sauf si le procureur de la République ordonne l’effacement des données personnelles. Les autres décisions de classement sans suite font l’objet d’une mention. Lorsqu’une décision fait l’objet d’une mention, les données relatives à la personne concernée ne peuvent faire l’objet d’une consultation dans le cadre des enquêtes administratives prévues aux articles L. 114-1, L. 234-1 à L. 234-3 du code de la sécurité intérieure et à l’article 17-1 de la loi no 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité.

Les décisions d’effacement ou de rectification des informations nominatives prises par le procureur de la République sont portées à la connaissance des responsables de tous les traitements automatisés pour lesquels, sous réserve des règles d’effacement ou de rectification qui leur sont propres, ces mesures ont des conséquences sur la durée de conservation des données personnelles.

Le procureur de la République dispose pour l’exercice de ses fonctions d’un accès direct aux traitements automatisés de données à caractère personnel mentionnés à l’article 230-6. »

18. De plus, le nouvel article 230-9 du code de procédure pénale a institué un magistrat référent chargé de suivre la mise en œuvre et la mise à jour des traitements automatisés de données à caractère personnel. Il dispose des mêmes pouvoirs d’effacement, de rectification ou de maintien des données personnelles que le procureur de la République. Il peut agir d’office ou sur requête des particuliers et se prononce sur les suites qu’il convient de donner aux demandes d’effacement ou de rectification dans un délai d’un mois.

19. Enfin, par un arrêt du 17 juillet 2013, le Conseil d’État a jugé que « les décisions en matière d’effacement ou de rectification, qui ont pour objet la tenue à jour [du STIC] et sont détachables d’une procédure judiciaire, constituent des actes de gestion administrative du fichier et peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif ». Il s’agissait en l’espèce d’une décision du procureur de la République de Paris refusant l’effacement des mentions d’une personne.

EN DROIT

I. SUR LA RECEVABILITÉ

20. Invoquant les articles 6 et 17 de la Convention, le requérant se plaint du déroulement de l’enquête et de la garde à vue dont il a fait l’objet, ainsi que de l’absence de suites données à la plainte qu’il a lui-même déposée contre sa compagne.

21. La Cour observe que le requérant n’a pas soulevé ces griefs devant les juridictions internes. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

22. Par ailleurs, invoquant l’article 8 en substance, ainsi que l’article 13, le requérant critique son inscription au STIC.

23. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

24. Le requérant allègue que son inscription au STIC constitue une violation de la Convention, invoquant en substance son article 8, dont les dispositions se lisent comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

25. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Arguments des parties

1. Le requérant

26. Le requérant qualifie son inscription au STIC de diffamatoire et outrageante. Il estime subir un préjudice du fait que, dans l’hypothèse d’une séparation avec sa compagne, la consultation du fichier pourrait conduire à un rejet de sa demande de garde de son enfant.

27. Enfin, le requérant considère que l’absence de recours contre la décision du 1er décembre 2009 est contraire à la Convention. Il estime que son auteur, le procureur de la République, n’est pas un magistrat indépendant et qu’il se soumet aux directives du Gouvernement qui visent à généraliser le fichage des citoyens.

2. Le Gouvernement

28. Le Gouvernement considère que la nature de l’atteinte à l’article 8 alléguée n’est pas précisée par le requérant. Il concède que l’inscription de l’identité de ce dernier au STIC constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée, mais précise que cette dernière était prévue par la loi, poursuivait un but légitime et était nécessaire dans une société démocratique.

29. Le Gouvernement fait valoir que toute personne inscrite au STIC peut solliciter l’effacement ou la mise à jour des données la concernant auprès du procureur de la République. Il estime que ce recours est effectif, au regard de la nature limitée de l’ingérence. A cet égard, il rappelle que seuls sont répertoriés l’état civil du requérant et les données en relation avec l’infraction, ces éléments n’étant accessibles qu’à un nombre limité de personnes habilitées, pendant une durée de vingt ans justifiée par la nature et la gravité des faits reprochés, ainsi que par l’utilité de ces informations pour permettre au parquet d’apprécier l’opportunité des poursuites en cas de nouvelle mise en cause pour des faits similaires.

30. Par ailleurs, le Gouvernement souligne que le requérant dispose, depuis la loi du 14 mars 2011, de la possibilité de s’adresser au magistrat référent instauré à l’article 230-9 du code de procédure pénale, afin de transformer son « inscription » en simple « mention ».

B. Appréciation par la Cour

1. L’existence de l’ingérence

31. La Cour constate d’emblée que l’inscription au STIC des données relatives au requérant a constitué une ingérence dans son droit à la vie privée, ce qui n’est pas contesté par le Gouvernement.

2. Justification de l’ingérence

a) Base légale et but légitime

32. La Cour observe que cette ingérence était « prévue par la loi » et qu’elle poursuivait les « buts légitimes » de défense de l’ordre, de prévention des infractions pénales, et de protection des droits d’autrui.

b) Nécessité de l’ingérence

i. Les principes généraux

33. Il lui reste donc à examiner la nécessité de l’ingérence au regard des exigences de la Convention, qui commandent qu’elle réponde à un « besoin social impérieux » et, en particulier, qu’elle soit proportionnée au but légitime poursuivi et que les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (voir, notamment, M.K. c. France, no 19522/09, § 33, 18 avril 2013).

34. S’il appartient tout d’abord aux autorités nationales de juger si toutes ces conditions se trouvent remplies, c’est à la Cour qu’il revient de trancher en définitive la question de la nécessité de l’ingérence au regard des exigences de la Convention (Coster c. Royaume-Uni [GC], no 24876/94, § 104, 18 janvier 2001, et S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 101, CEDH 2008). Une certaine marge d’appréciation, dont l’ampleur varie et dépend d’un certain nombre d’éléments, notamment de la nature des activités en jeu et des buts des restrictions, est donc laissée en principe aux États dans ce cadre (voir, notamment, Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 49, série A no 28, Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos33985/96 et 33986/96, § 88, CEDH 1999-VI, Gardel c. France, no 16428/05, B.B. c. France, no 5335/06, et M.B. c. France, no 22115/06, 17 décembre 2009, respectivement §§ 60, 59 et 51). Cette marge est d’autant plus restreinte que le droit en cause est important pour garantir à l’individu la jouissance effective des droits fondamentaux ou d’ordre « intime » qui lui sont reconnus (Connors c. Royaume-Uni, no 66746/01, § 82, 27 mai 2004, et S. et Marper, précité, § 102). En revanche, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, la marge d’appréciation est plus large (Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, § 78, CEDH 2007‑XIII).

35. La protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental pour l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la Convention. La législation interne doit donc ménager des garanties appropriées pour empêcher toute utilisation de données à caractère personnel qui ne serait pas conforme aux garanties prévues dans cet article. Cette nécessité se fait d’autant plus sentir lorsqu’il s’agit de protéger les données à caractère personnel soumises à un traitement automatique, en particulier lorsque ces données sont utilisées à des fins policières. Le droit interne doit notamment s’assurer que ces données sont pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu’elles sont conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées. Le droit interne doit aussi contenir des garanties de nature à protéger efficacement les données à caractère personnel enregistrées contre les usages impropres et abusifs (S. et Marper c. Royaume-Uni, précité, § 103, Gardel c. France, précité, § 62, CEDH 2009, et M.K. c. France, précité, § 35).

36. Pour apprécier le caractère proportionné de la durée de conservation des informations au regard du but poursuivi par leur mémorisation, la Cour tient compte de l’existence ou non d’un contrôle indépendant de la justification de leur maintien dans le système de traitement, exercé sur la base de critères précis tels que la gravité de l’infraction, les arrestations antérieures, la force des soupçons pesant sur la personne ou toute autre circonstance particulière (S. et Marper c. Royaume-Uni, précité, § 119, et B.B. c. France, précité, § 68).

37. Enfin, il appartient à la Cour d’être particulièrement attentive au risque de stigmatisation de personnes qui, à l’instar du requérant, n’ont été reconnues coupables d’aucune infraction et sont en droit de bénéficier de la présomption d’innocence. Si, de ce point de vue, la conservation de données privées n’équivaut pas à l’expression de soupçons, encore faut-il que les conditions de cette conservation ne leur donne pas l’impression de ne pas être considérés comme innocents (S. et Marper, précité, § 122, et M.K., précité, § 36).

ii. L’application des principes susmentionnés au cas d’espèce

38. La Cour observe d’emblée que le requérant se plaint d’une atteinte susceptible d’être portée à sa vie privée et familiale du fait de son inscription au fichier, dans le cadre d’une éventuelle procédure devant le juge aux affaires familiales relative au droit de garde de son enfant. Or, elle constate que ce magistrat ne figure pas parmi les personnes ayant accès au fichier concerné. La situation dénoncée par le requérant n’est donc pas susceptible de se produire.

39. En revanche, s’agissant du caractère outrageant invoqué, la Cour note que si les informations répertoriées au STIC ne comportent ni les empreintes digitales (à la différence du fichier automatisé des empreintes digitales – voir M.K., précité) ni le profil ADN des personnes, elles présentent néanmoins un caractère intrusif non négligeable, en ce qu’elles font apparaître des éléments détaillés d’identité et de personnalité en lien avec des infractions constatées, dans un fichier destiné à la recherche des infractions.

40. En outre, la Cour relève que le requérant a bénéficié, à la suite de la médiation pénale, d’un classement sans suite justifiant qu’il reçoive un traitement différent de celui réservé à une personne condamnée, afin d’éviter tout risque de stigmatisation (S. et Marper, précité, § 22, et M.K., précité, § 42). À ce titre, elle observe que depuis la loi du 14 mars 2011, l’article 230-8 du code de procédure pénale dispose que, dans une telle hypothèse, le classement sans suite doit faire l’objet d’une mention sur la fiche enregistrée au STIC et les données relatives à la personne concernée ne peuvent alors plus être consultées dans le cadre de certaines enquêtes administratives. En l’espèce, la Cour ignore si la décision du ministère public a été effectivement inscrite parmi les informations concernant le requérant. Néanmoins, elle constate qu’en tout état de cause cette mesure n’a pas d’effet sur la durée de conservation de la fiche, qui est de vingt ans. Or, elle considère que cette durée est importante, compte tenu de l’absence de déclaration judiciaire de culpabilité et du classement sans suite de la procédure après le succès de la médiation pénale. Il lui appartient donc de s’interroger sur le caractère proportionné d’un tel délai, en tenant compte de la possibilité pour l’intéressé de demander l’effacement anticipé des données (voir mutatis mutandis, M.K., précité, § 45).

41. À cet égard, la Cour relève que la loi, dans sa version applicable à l’époque des faits comme dans celle en vigueur, ne donne au procureur le pouvoir d’ordonner l’effacement d’une fiche que dans l’hypothèse d’un non-lieu ou d’un classement sans suite motivé par une insuffisance des charges, outre les cas de relaxe ou d’acquittement pour lesquels l’effacement est de principe mais où il peut prescrire le maintien des données au STIC. En l’espèce, pour rejeter la demande présentée à cette fin par le requérant, le procureur de la République d’Evry a appliqué strictement ces dispositions et s’est borné à constater que la procédure concernée avait fait l’objet d’une décision de classement sans suite fondée sur une autre cause que l’absence d’infraction ou son caractère insuffisamment caractérisé. Il n’avait donc pas compétence pour vérifier la pertinence du maintien des informations concernées dans le STIC au regard de la finalité de ce fichier, ainsi que des éléments de fait et de personnalité. La Cour estime qu’un tel contrôle ne saurait passer pour effectif, l’autorité chargée de l’exercer n’ayant pas de marge d’appréciation pour évaluer l’opportunité de conserver les données.

42. De même, elle note qu’à l’époque des faits la décision du procureur de la République n’était susceptible d’aucun recours. Certes, d’une part, le droit interne permet désormais à l’intéressé d’adresser une nouvelle demande au magistrat référent visé à l’article 230-9 du code de procédure pénale, comme le soutient le Gouvernement. La Cour observe néanmoins que le texte précise que ce magistrat « dispose des mêmes pouvoirs d’effacement, de rectification ou de maintien des données personnelles (...) que le procureur de la République». Aux yeux de la Cour, un tel recours ne présente donc pas le caractère d’effectivité nécessaire, l’autorité décisionnaire ne disposant d’aucune marge d’appréciation quant à la pertinence du maintien des informations au fichier, notamment lorsque la procédure a été classée sans suite après une médiation pénale, comme en l’espèce. D’autre part, la jurisprudence récente du Conseil d’État reconnaît la possibilité d’exercer un recours pour excès de pouvoir contre les décisions du procureur en matière d’effacement ou de rectification, qui ont pour objet la tenue à jour du STIC et sont détachables d’une procédure judiciaire (paragraphe 19 ci-dessus). Cependant, la Cour constate que cette faculté n’était pas reconnue à l’époque des faits, le requérant s’étant vu expressément notifier l’absence de toute voie de contestation ouverte contre la décision du procureur du 1er décembre 2009.

43. Ainsi, bien que la conservation des informations insérées dans le STIC soit limitée dans le temps, il en découle que le requérant n’a pas disposé d’une possibilité réelle de demander l’effacement des données le concernant et que, dans une hypothèse telle que celle de l’espèce, la durée de vingt ans prévue est en pratique assimilable, sinon à une conservation indéfinie, du moins à une norme plutôt qu’à un maximum (M.K., précité).

44. En conclusion, la Cour estime que l’État défendeur a outrepassé sa marge d’appréciation en la matière, le régime de conservation des fiches dans le STIC, tel qu’il a été appliqué au requérant, ne traduisant pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu. Dès lors, la conservation litigieuse s’analyse en une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique.

45. Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention.


III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

46. Le requérant allègue aussi la violation de l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

47. Compte tenu de la conclusion qui précède (paragraphe 38 ci-dessus), la Cour estime ne pas devoir se prononcer sur le grief en question (voir, notamment, Lambert c. France, 24 août 1998, § 43, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V).

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

48. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

49. Le requérant réclame 8 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait subi.

50. Le Gouvernement observe que l’essentiel des éléments constitutifs de préjudice invoqués par le requérant se rapportent aux griefs liés aux conditions alléguées de sa garde à vue et de l’enquête. Il ajoute que, s’agissant de l’inscription au STIC, le requérant ne fournit aucun élément d’explication sur la consistance de son préjudice moral. Il estime qu’un constat de violation constitue une réparation suffisante du préjudice invoqué.

51. La Cour observe que le requérant n’explique pas en quoi a constitué le préjudice matériel subi du fait de son inscription au STIC. Elle estime cependant que le requérant a subi un tort moral certain et, statuant en équité comme le veut l’article 41, lui accorde à ce titre la somme de 3 000 EUR.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de la violation des articles 8 et 13 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention (...)